Métaphysique.
Recherche rationnelle ayant pour objet la connaissance de
l’être absolu, des causes de l’univers et des
principes premiers de la connaissance."
Dictionnaire Petit Robert
Avec sa polémique contre le relativisme, Ratzinger n’a
découvert rien de nouveau. La dispute métaphysique a
toujours fait partie de la propagande politique, jusqu’au point
de devenir un genre populaire.
Mussolini, par exemple, aimait disputer de métaphysique dans ses
discours, même si, à la différence de Ratzinger, il
avait une prédilection juste pour le relativisme. Voilà
ce que Mussolini écrivait sur le "Popolo d’Italia" du 23
novembre 1921:
"Si le relativisme et la
mobilité universelle son équivalents, alors nous les
fascistes qui avons toujours manifesté notre insolence sans
préjugés vis-à-vis des nominalismes sur
lesquels se clouent – comme des chauve-souris aux poutres –
les bigots des autres partis; nous qui avons eu le courage de briser en
mille morceaux toutes les catégories politiques traditionnelles
et de nous dire à chaque fois: aristocrates et
démocrates, révolutionnaires et réactionnaires,
pacifistes et anti-pacifistes – nous sommes les relativistes par
excellence et notre action se rapporte directement aux mouvements les
plus actuels de l’esprit européen."
Mussolini revendiquait aussi le rôle d’antidogmatique.
À la réunion de la direction du Parti Socialiste Italien,
du 20 octobre 1914, Mussolini avait proposé cet ordre du jour:
"La direction du Parti socialiste
italien, même en réaffirmant son opposition de principe
à la guerre, considère pour un tas des raisons
différentes envisagées dans ces jours sur le "Avanti" que
la formule de la neutralité absolue est devenue trop engageante
et dogmatique face à une situation internationale de plus en
plus complexe et hérissée d’inconnues
inquiétantes. On se réserve pourtant de déterminer
et coordonner à l’éventualité d’une
guerre l’action future du Partit suivant les
événements."
C’est comme ça que, alors que les socialistes
"dogmatiques" lui demandaient qui payait son nouveau journal, le
"Popolo d’Italia", Mussolini, au lieu de répondre, prenait
des airs de hérétique incompris et
persécuté.
C’est donc une position un peu naïve celle qui, dans la
dispute entre vérité absolue et relativisme,
considère ce dernier comme une prémisse de
tolérance et de compréhension réciproque.
Dans les disputes métaphysiques, c’est le Pouvoir qui a bien en main les alternatives du dilemme.
Ratzinger joue un rôle, et c’est un jeu des rôles: en
condamnant le relativisme, il le légitime en même temps en
tant que contrepoids culturel, mais il vaut mieux ne pas se faire avoir.
Ce n’est pas un jeu de mots, mais un fait acquis, que le Pouvoir
a tendance à redevenir absolu en utilisant même le
relativisme dans sa propagande.
Locke et Montesquieu avaient théorisé et soutenu la
pratique de modérer le Pouvoir à travers un
système de contrepoids, de procédés et de
garanties. Karl Schmitt a toutefois démontré que le
Pouvoir peut bien redevenir absolu en invoquant tout simplement
l’état d’exception. L’Ėtat de Droit et ses
règles peuvent être liquidés pas dans son principe,
mais transitoirement, au nom de l’urgence, une urgence qui peut
cependant devenir permanente, comme ce qui se passe actuellement avec
l’urgence/terrorisme.
Un urgence permanente est un nonsense, exactement comme la "guerre
humanitaire", d’ailleurs les "nonsense" représentent un
élément essentiel dans la propagande du Pouvoir pour se
légitimer.
Mussolini a démontré qu’en guerre comme en
politique – et les deux termes sont à peu près
synonymes -, la confusion est une arme; une arme qu’on peut
combiner avec la violence, en en intensifiant les conditions et les
effets.
Mussolini proposait aux socialistes de continuer à être
contre la guerre en principe, mais de relativiser ce principe, en
adhérant à la guerre le cas échéant "face à une situation internationale de plus en plus complexe et hérissée d’inconnues";
la complexité doit être regardée elle aussi comme
une urgence et, en tant que telle, elle peut bien justifier
l’exception, laquelle va devenir le nouvelle règle.
Le même escamotage est utilisé aujourd’hui dans le
mouvement anarchiste, où on ne nous propose pas une
adhésion à l’électoralisme tout court, mais
seulement d’aller voter "cette fois", c’est-à-dire
pratiquement chaque fois.
Puisque l’urgence justifie en fait n’importe quelle
dérogation aux principes, aujourd’hui Locke et Montesquieu
devraient admettre que le véritable contrepoids – la vraie
garantie – contre le Pouvoir, est constitué exactement par
le suspect à l’égard des urgences et de la
démystification des "nonsense" de la propagande sur lesquels
elles sont fondés.
Encore une fois, ici il ne faut pas entrer dans des disputes
métaphysiques, il ne s’agit pas de démasquer le
nonsense au nom du rationalisme ou de la primauté de la raison,
mais plutôt tout simplement contrecarrer les abus
perpétrés à l’ombre du nonsense
propagandiste, évidemment si on veut bien les contrecarrer.
Le "si" n’a pas une valeur polémique, mais fait
référence à une attitude idéologique
précise: on peut bien être des opposants – et
même des anarchistes – en principe, mais soutenir le
Pouvoir à chaque fois le cas échéant; et tout
ça sans se sentir jamais en contradiction, bien au contraire, on
voit dans chaque objection relative une sorte d’agression.
Le problème n’est pas de s’exprimer sur la
validité de la métaphysique en tant que science, et
même pas d’affirmer que la métaphysique est un
produit du Pouvoir, mais seulement de mettre en évidence
l’utilisation que le Pouvoir en fait.
Un des mythes de la science politique est que le pouvoir politique soit
basé sur un principe fondamental: la souveraineté
populaire. Mais c’est ça justement la métaphysique
du Pouvoir, tandis que l’expérience nous signale que le
Pouvoir avance par des justifications occasionnels et a posteriori du
fait accompli.
Si on considère un des plus célèbres – et
des moins lus en entier – documents de l’Histoire, la
Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis
d’Amérique de 1776, on s’aperçoit du
caractère occasionnel et de prétexte des motivations,
même si enveloppées dans un savant voile de propagande
créé par la plume de Thomas Jefferson.
Tout d’abord, la Déclaration est un plagiat, elle calque
la Déclaration d’Indépendance des Provinces Unies
d’Hollande de 1581. Il n’y aurait rien à objecter si
la situation avait été analogue, mais en effet, le
Hollandais se séparaient du roi d’Espagne, pas de leur
mère patrie, donc pour eux la tyrannie du roi pouvait constituer
un motif pour briser le pacte qui les liait. Ce n’est pas le cas
des colons américains, lesquels, pour justifier le fait
accompli, durent avoir recours à la situation exceptionnelle
créée par les brimades du roi d’Angleterre, peint
comme un criminel, et par le terrorisme de ceux qu’ils appelaient
les "cruels sauvages indiens".
La stratégie de l’urgence a un cours toxicologique, elle
demande des doses de plus en plus fortes pour fonctionner, comme une
drogue. La propagande des Etats-Unis ne se borne à appliquer la
recette de l’urgence et de la criminalisation des adversaires
seulement à la politique étrangère, mais aussi
à l’intérieur.
Aujourd’hui, les soi-disant "Neocons" américains ont
l’habitude de peindre leurs adversaires démocratiques
comme une menace pour la survivance de la Nation. On a peint Clinton
comme un pacifiste pusillanime, qui aurait mis en péril la
sûreté nationale; et pourtant, d’après les
tonnes de bombes larguées et aux condamnations à mort
avaliser, Clinton est sans doute un des hommes d’Etat les plus
sanguinaires de l’Histoire.
Souvent en Italie on se plaint du fait que la majorité et
l’opposition se délégitiment et se criminalisent
réciproquement, on indique comme modèle positif les
démocraties plus mûres. Mais c’est exactement la
démocratie/modèle – les Etats-Unis - qui impose
à la communication politique ce ton exaspéré. Tout
ça est dû au fait que la légitimation d’une
partie politique arrive seulement sur la base de la
délégitimation de la partie adverse. La
légitimité, donc, est un vide qui n’est rempli
qu’avec des références négatives.
Quand on a essayé de mieux matérialiser
l’idée de légitimité, les résultats
ont été plutôt catastrophiques. Norberto Bobbio
s’est référé au "consentement de la
majorité", ce qui n’est que de la pure tautologie:
affirmer que le Pouvoir est fondé sur le consentement
équivaut à dire tout simplement que le Pouvoir existe,
vue que la fonction prioritaire du Pouvoir est d’extorquer le
consentement.
Aujourd’hui à la métaphysique du Pouvoir correspond
aussi un anarchisme métaphysique. La tendance qui a
aujourd’hui l’hégémonie dans le mouvement
anarchiste – les anarcho-occidentalistes- travaille en fonction
de l’idée de souveraineté, en proposant comme
alternative une souveraineté individuelle, ou bien une
souveraineté qui cherche sa légitimité en se
référant au territoire. L’ "autogouvernement
territorial" est le dernier produit de cette recherche
métaphysique, même si elle propose encore une fois des
thèmes avancés il y a une dizaine d’années
par le soi-disant municipalisme libertaire.
Si on raisonne en termes métaphysiques, on ne peut pas concevoir
que d’autres puissent ne pas faire de même, voilà
pourquoi n’importe quelle critique est interprétée,
et mal comprise, comme s’il s’agissait d’une
excommunication, plutôt que d’une tentative de ramener la
discussion sur un terrain moins vague.
L’anarchisme n’a pas besoin de se rapporter à un
principe fondateur, voilà pourquoi quand on parle de principes
anarchistes on devrait se référer à des outils.
Par exemple, le communisme n’a pas besoin de se
référer à une suprématie de la
collectivité sur le singulier et, encore moins, à un
rôle salvateur et dirigeant de la classe ouvrière, au
contraire, des idées pareilles n’entraînent
qu’un dérangement de la compréhension et de
l’action. Les grands moyens de production sont toujours
créés et alimentés par les dépenses
publiques, voilà pourquoi la propriété
privée de ces moyens représente une mystification
sociale. Même les restructurations et les licenciements ne sont
possibles que grâce aux subventions de l’Etat.
Ce n’est pas par hasard que, pendant la révolution russe,
les anarchistes se sont toujours opposés à la
collectivisation forcée de l’agriculture, proposée
par Trotsky et d’abord refusée par Stalin qui l’a
ensuite réalisée. La révolte de Kronstadt
étouffée par Trotsky montrait très clair que
là où il n’y a pas de grands moyens de production,
le communisme est une contrainte, voilà pourquoi il faut
chercher des formes de médiation entre le communisme industriel
et d’autres typologies productives.
De même pour l’athéisme anarchiste, qu’il ne
faut pas entendre comme un "Credo" sur l’inexistence de Dieu,
mais qui est fondé sur l’observation que, au niveau
social, Dieu n’est rien d’autre que la justification
mythologique des hiérarchies entre les humains.
Ce n’est pas non plus nécessaire d’identifier
l’anarchisme avec la liberté, mais on peut le
dépister dans une pratique anti-discriminatoire concrète
qui démasque et entrave tous les rituels
d’exclusion.
En d’autres termes, l’anarchisme métaphysique est
inhibiteur de la fonction de démystification de
l’anarchisme, en lui empêchant pas seulement une
révolution sociale, mais même de poser des limites aux
prévarications du Pouvoir.
Comidad, janvier 2006
Trad. Juin 2006